Conte du Manoir : le jour où tout a commencé...

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Gaston Mirliton était un enfant comme les autres  : des cheveux ébouriffés, des yeux émerveillés, deux oreilles qui n’entendaient bien que ce qui l’intéressait et... une fâcheuse tendance à préférer se plonger dans les histoires plutôt que de faire ses devoirs. Le jour où sa mère s’en aperçut, elle en fut fort déçue : mais quel manque de concentration mon petit Gaston Mirliton !

Le  soir venu, pendant que Gaston dormait, maman Mirliton décida d'agir : elle prit le livre de contes préféré de Gaston et alla le perdre au fin fond de la forêt. Le moins que l’on puisse dire c’est que le livre ne se montra pas très coopératif... A peine abandonné, voilà qu’il se fait pousser des pieds et qu’il rentre à la maison. La mère n’y comprend rien et, têtue, elle recommence le lendemain…

Cette fois-ci, elle va encore plus loin dans la forêt et confie le détestable bouquin à un lapin en pensant bien qu’il aura la bonne idée de le grignoter pour son dîner. Mais le livre se fait pousser des mains, tire les oreilles du lapin et, au petit matin, se trouve rangé sous l’oreiller du gamin. Bigre, ce livre de conte ne voulait pas s’en laisser conter ! Il n’était pas n’importe quel ouvrage trouvé dans les tréfonds d’une bibliothèque poussiéreuse, les histoires même qu’il abritait semblaient appartenir aux racines de légendes pas encore inventées, des histoires troublantes et surprenantes auxquelles, bizarrement, on n'avait pas de mal à croire.

Ce livre, on ne le lisait pas, on l’écoutait. Il semblait habité, ses mots résonnaient dans la tête des gens comme s’ils avaient une voix propre... Mais de quel bois était-il fait à la fin ? C’est vrai que son papier était étrange. Sur certaines pages, il avait le toucher d’une écorce dont la texture devenait elle-même écriture. Sur d’autres, en transparence, on percevait le dessin d’une feuille d’arbre, des ramifications comme autant de chemins mystérieux empruntés par les histoires. Gaston avait d’ailleurs remarqué que ces pages changeaient de teinte au gré des saisons : couleur d'orage en automne, pâles comme la brume en hiver, multicolores au printemps et, en été, elles faisaient semble-t-il  bien ce qui leur plaisait.

- "Et si le livre était VIVANT ? pensait l’enfant.

- Cela suffit, en voilà des boniments ! ». Madame Mirliton n’en pouvait plus, elle se décida à une nouvelle tentative. Cette fois-ci, elle emmena le livre  plus loin que loin, dans une forêt plus touffue que touffue, et elle l’enterra plus profond que profond !

- «Et voilà, c’est bien fait ! » se dit la jeune femme avant de se sauver bien vite car une petite pluie de printemps s’était mise à tomber, le genre de petite pluie à faire pousser n’importe quoi…

Du livre de contes nul n’entendit plus jamais parler et le petit Gaston finit par se faire une raison. Cela tombait bien car, une raison, il y en avait bien une : dans les tréfonds de la forêt plus touffue que touffue, dans son trou plus profond que profond, le beau livre d’histoires s’était mis à pousser. Pendant longtemps d’ailleurs cette arbre-la n’eut vraiment rien d’exceptionnel. Années après années, il fit croître un tronc par-ci, un tronc par-la, une feuille par-ci, une feuille par-la, un fruit par-ci, un fruit par… Tiens, non, jamais de fruit. Etrange ! Etrange aussi, d’ailleurs, la forme qu’il avait fini par acquérir avec le temps : UNE FORME DE CHÂTEAU ! Parfaitement, chaque tronc était comme une tourelle somptueusement parée d’une couronne de feuilles, chaque tourelle s’était percée de-ci de-là de petites fenêtres de bois, s’était faite habiller d’échelles de lierre, soutenir de contreforts de branches. A l’intérieur des tourelles cela sonnait bizarrement creux mais jamais vide : on entendait des voix, des chants, des danses… Enfin, c’est ce que l’on aurait pu entendre si l'on s'était approché, mais personne dans les contrées avoisinantes n’osait s’aventurer aussi loin dans la forêt alors l’arbre-château gardait tous ses secrets !

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Entre temps, Gaston Mirliton était devenu grand mais il ne trouvait pas pour autant ce qu’il pouvait y avoir d’excitant la-dedans : "va et gagne plein d’argent !" lui avait dit sa maman. "Tu verras comme c'est gratifiant !". Il était parti mais n’avait pas trouvé cela très motivant, Il savait depuis toujours que gagner sa vie c’est parfois la perdre alors… A quoi bon ?

La nuit allait bientôt tomber et, ce soir-la, Gaston errait dans les tréfonds de la forêt. Malgré l'obscurité croissante, le jeune homme n’était pas inquiet car il était certain que, pas très loin, une fête battait son plein. Guidé par la joyeuse rumeur, Gaston arriva aux portes de l'arbre-château. C'était un spectacle étonnant qui transperça son cœur : il étincelait dans les reflets bleus de la lune tandis qu’une chaude lumière irradiait de l’intérieur. C’était celle des flambeaux et des fourneaux, des cheminées et des brasiers, des bougies et des tours de magie. On aurait dit que les étoiles du ciel s’échappaient de la porte d’entrée !  

Quand Gaston osa enfin franchir le seuil du Manoir aux Histoires, quel ne fut pas sa surprise de retrouver en cet endroit toutes les fables de son enfance ! Une ribambelle de personnages qui festoyaient dans les grandes salles de banquet, se jouait des tours pendables, se baignaient dans des marmites d’ogre, s’endormaient sur des lits de princesse aux petits pois, se miraient dans des miroirs magiques, se chaussaient avec des bottes de 7 lieux, rangeaient leurs affaires dans des cavernes d’Ali Baba et oubliaient de se coucher pendant mille et une nuits…  

On dit que Gaston Mirliton est entré dans le Manoir aux histoires et qu'on ne l’a jamais vu resortir. On pense qu’il est devenu le mystérieux personnage qui règne sur les lieux et que l’on ne peut espérer croiser que les nuits de ¾ lune : le Docteur Affabulatus, le fabuleux fabulateur !  

Dans son grand laboratoire, le docteur Affabulatus rêve et invente les histoires du futur à grand coup de potions d’imaginaire, de machines fantasques et de portes temporelles. Depuis lors, l’arbre-château produit des fruits énormes, des grimoires d’histoires qu’il fait bon dévorer l’hiver sous la couette. Ses feuilles, elles aussi, se sont couvertes d’écrits abracadabrants et, quand elles tombent à l’automne, elles volent si loin qu’elles peuvent être lues à des kilomètres. Parfois aussi, le Dr Affabulatus organise de grandes fêtes où sont conviés les bonimenteurs du monde entier et, à certains convives, il confie de curieuses graines.

 Depuis, il semble que d’étranges arbres aux formes surprenantes ont commencé à pousser sur tous les continents…


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